AOUT 1916 ! l’INCONNU TE RESSEMBLE DES MILLIARDS D’INCONNUS DONT LE SANG SE RESSEMBLE COULENT DE SOURCE ROUGE ET DE TA ROUGE GORGE UN PREMIER CRI S’ECHAPPE FORT COMME UNE FORGE
24 août on t’attend quelque part on attend Tes mots tes mots serpents arpentant tes arpèges Tes mots de 24 août privant de privilèges Les nantis
Ta crinière d’albâtre et tes yeux d’albatros
T'avais des yeux comm'des lucarnes
Ou plutôt comm'des périscopes
Et l'on plongeait dans tes regards
Vers des océans nyctalopes
Dont toi seul connaissais le fond
Et encor va savoir, au fond !
T'avais les mains comm' des soleils
Et les doigts comm'des ballerines
Tes not'jonglaient à nos oreilles
De double croche en triple spleen
Ton Idéal en Danaïdes
Autour de nous faisait le vide
T'avais le coeur comme un' planète
Où l'on planait sans méfiance
Dans le firmament des poètes
Les seul'muraill'sont de silence
Et ta voix, Ferré, nous prenait,
Meuglant dans le désert des foules
Résonance qui raisonnait
La boulimie des rues maboules
Tu semais la philanthropie
Dans la nuit noire des hiboux
Egrenant tes fleurs d'Utopie
Dans les sillons de l ' Amour Fou
Y en a pas un sur cent, Léo,
Depuis qu't'as lâché l'gouvernail
Pour leur tenir la dragée haute
Et décaniller la canaille
T'avais un'gueul'de canidé
Mâtiné de merlin moqueur,
Un'têt' plein' de foutues idées
A dérider les intérieurs
T'avais un'gueul'd'entêtement
Pour entériner l'Anarchie
Loin des démoniaques déments
Qui font les hommes avachis
Et comme un phare illuminant
Nos plantigrades solitudes
Tu voguais loin du continent
Des cerbèr'et des servitudes
Sans être un saint ni un salaud
Tu domptais la Nuit,ta frangine
Auréolée par le galop
De ta crinière en crinoline
T'étais d'la trempe de ces types
Qui livrent leur coeur et leur âme
Comme on effeuillerait ses tripes
En contrepointe d'un sésame
Et si demain de l'An dix mille
La voix est libre côté coeur
C'est que tes mots seront vainqueurs
Sur les paroles des gens vils
Tes mots, Léo, t'avais des mots
Qui fleurissaient les caniveaux
Des mots sangsues, des mots nouveaux
A mettre sens dessus dessous
Nos âm'en peine de dix sous
T'étais forain, te v'là Forum
Mais dans ma forêt t'as laissé
Comme une espèce de sérum
Pour soigner les oiseaux blessés
Les oiseaux noirs, ceux qui transgressent
Les insolences du Pouvoir
Ceux qui luttent contre l'ogresse
Que l'on appelle Désespoir
Ceux qui laissent au vestibule
Les vestiges des temps passés
Pour rebâtir en préambule
Un monde enfin débarrassé
Des parasites en tenue
De sanguinaires épiciers
...
Et c'est pourquoi je suis venu
Avec mes wagons de huit pieds
Sans cigarette et sans cravate
Sans rien d'autre que mon chapeau
Duquel, comme d'un puits, s'évadent
Des mots cueillis à fleur de peau
Des mots sortis d'un nouveau monde
Tranquilles comme un chien qui dort
Des mots qui me servent de fronde
Contre les affronts des cadors
Des mots nouveaux comme le monde
Qui ne ressemble qu'à l'image
Où se répand'où se répondent
Les pétales de chaque page
Que je ponds sur chaque pavé
Pour qu'il nous bave un arc-en-ciel
Où nos mots resteront gravés
Comme les larves essentielles
De cet Humain encore à naître
Qui n'en finit jamais d'attendre
L' Eternité pour apparaître
Au seuil de la Carte du Tendre
S'il est temps de lever nos vers
Permets que je lève les miens
A cet espoir à découvert
Cet Espoir que tu connais bien
Et que je reprends à mon compte
A travers ces mots pendentifs
Pour les conjuguer à la ronde
Au présent de l'Itératif
Permets moi, ne fût-ce qu'en rêve
A défaut d'autre gabarit
De prendre un semblant de relève
En levant l'ancre de mes cris
Dans ce décor drapé de noir
Qui n'a pas dit ton dernier mot
Ecoute.. J'entends la Mémoire
De la Mer, éternel écho
De ce silence qui s'élance
Comme une langue printanière
Où mon rêve rime en errance
Et sort le temps de sa tanière
Qu'importe que l'Eté s'en tape
Alors qu' une saison s'avance
Pleine d'oiseaux tissant par grappes
Nos partitions d' Irrévérence
ECOUTE ECOUTE ECOUTE ECOUTE
DANS LE SILENCE DE LA MER
IL N' Y A PLUS LE MOINDRE DOUTE
DEMAIN NOUS RESSEMBLE... C'est clair.